Contribution d’une collaboratrice enseignante au primaire

Je suis enseignante au primaire, actuellement dans une classe de 6e année, avec intégration d’élèves TSA (trouble du spectre de l’autisme). Sur 20 élèves, 8 sont diagnostiqués comme ayant différents troubles: TSA, TDA‐H, troubles anxieux et troubles des fonctions exécutives. Avec ces troubles viennent habituellement un plan d’intervention et dans la majorité des cas, une médication.

Mon rapport au diagnostic

En côtoyant chaque jour des élèves qui sont sous médication, j’ai remarqué plusieurs effets secondaires. Certains démontrent beaucoup d’anxiété. D’autres sont plutôt amorphes, comme s’ils avaient perdu leur vigueur et leur spontanéité d’enfant. Il est évident que sous médication, ces mêmes enfants sont beaucoup moins dérangeants puisqu’ils arrivent plus facilement à être calmes et attentifs, ils répondent ainsi mieux aux exigences et aux attentes que l’on a habituellement envers un élève « ordinaire ». Par conséquent, je ne crois pas qu’à long terme, la médication permette à ces mêmes enfants d’exprimer ce qu’ils sont vraiment et de se connaître réellement. Je crois que le diagnostic peut parfois permettre d’expliquer des manifestations dans le but de mieux orienter nos interventions, mais à l’inverse, le fait de poser une étiquette cadre et limite l’enfant. Oui ces mêmes élèves réussissent en mathématiques et en français, mais quand je propose des projets qui demandent une connaissance de soi et une réflexion plus personnelle, ces mêmes élèves arrivent difficilement à émettre une opinion et à faire ressortir leur propre couleur. Ils deviennent de bons techniciens et de bons procéduriers, sans plus. Actuellement, ce que les recherches nous montrent, c’est qu’il y a une augmentation importante du diagnostic (le TDA-H entre autres). Je crois qu’il est essentiel que les enseignants soient bien informés et formés sur le sujet afin de comprendre les différentes manifestations dans le but de mieux comprendre et intervenir, mais également dans le but de ne pas généraliser un trouble qui se veut de plus en plus répandu.

Mes pratiques pédagogiques

Personnellement, je vis quelques incohérences entre mes valeurs d’enseignante et celles des systèmes d’éducation et de santé. En tant qu’enseignante, je désire que mes élèves s’épanouissent pleinement, et au‐delà des notes, trouvent une motivation intrinsèque à venir apprendre dans un milieu signifiant, cohérent et sécurisant pour eux. Quand un enfant n’est pas attentif ou est inactif, j’ai tendance à remettre en question ma planification et mon enseignement, avant de me dire que cet enfant n’a pas la capacité de répondre aux attentes préétablies. Je n’accuse pas directement un trouble chez l’enfant, mais me remets d’abord en question et je questionne également les causes de l’indisponibilité de cet élève (a‐t‐il vécu un mauvais matin? s’est‐il chicané avec son frère? a-t‐il bien dormi? etc.) Mes pratiques pédagogiques sont donc en constante évolution puisque je tente d’adapter mes enseignements en fonction des intérêts des élèves et de leurs besoins, le tout dans une finalité bien définie (pédagogie par projet entre autres). Pourquoi ne pas donner une priorité à ce qui mobilise l’attention dans l’instant présent? Bien sûr, je planifie et propose des projets afin de m’assurer de voir le contenu du programme scolaire, mais j’adapte en fonction de l’intérêt du moment, selon le pouls du groupe. J’essaie d’accorder une place importante à la littérature jeunesse puisque les livres sont un médium qui permet de créer intérêt et curiosité. Deux ingrédients essentiels à la motivation et à l’implication de l’élève dans ses travaux. Par ailleurs, j’aime bien les exploiter sous plusieurs facettes, dans le but de travailler la grammaire, les arts, la compréhension, les discussions éthiques, etc. L’histoire en soi peut donc être complètement un prétexte afin de créer un contexte signifiant et stimulant pour l’enfant. Bien sûr, je n’arrive pas à rejoindre tous les élèves. L’important est de varier les pratiques afin de rejoindre le plus grand nombre d’élèves. Je tente également de m’éloigner progressivement des manuels scolaires, puisqu’ils ne me permettent pas cette latitude de planification.

L’enfant au cœur de ses émotions : vers une approche universelle

J’enseigne actuellement dans un milieu qui intègre les cas plus lourds d’élèves TSA de ma commission scolaire, mais qui sont encore intégrables dans des classes ordinaires. Cette intégration est accompagnée d’un service supplémentaire pour soutenir les enseignantes et les élèves au quotidien. J’ai donc eu la possibilité d’être davantage formée sur le langage conceptuel et sur les méthodes probantes à utiliser avec ce type d’apprenant. Ce que j’ai réalisé au fil du temps, c’est que ces méthodes pédagogiques et de gestion ne rejoignaient pas seulement les élèves TSA, mais également tout type d’élève qui apprend mieux par le visuel, qui a besoin de trouver un sens concret à ce qu’il fait, dont la gestion des émotions est un défi, etc., mais à des niveaux et des intensités différents. Pourquoi donc ne pas utiliser ces méthodes avec toute ma classe? Être attentive aux besoins de mes élèves, tout genre compris, et ajuster mes interventions en fonction de ces besoins est un défi quotidien. Par exemple, cette année, deux de mes élèves ont un TSA. L’une de leur différence est qu’ils ont de la difficulté à gérer leur colère et les émotions intenses, ce qui suffit pour désorganiser tout un groupe. À mon avis, la gestion de la colère est un défi pour beaucoup d’enfants, mais à des niveaux différents. Dans ma gestion de classe, j’arrive à orchestrer les besoins individuels en tentant une approche plutôt universelle, par l’enseignement explicite de moyens et de stratégies, au même titre que je le ferais pour l’enseignement de la lecture, par exemple. Je saisis donc les moments de mon quotidien avec mes élèves pour leur enseigner comment résoudre leurs problèmes, leurs conflits, et ce, même si un seul élève vit ce problème à un moment donné. Il est fort probable que l’enseignement et la discussion rejoindront d’autres élèves qui sauront se reconnaître, à un moment ou un autre. Sinon, il s’agira d’un « moment référence » pour rappeler les stratégies enseignées si le même genre de situation survient. Je dirai par exemple: « tu te souviens lorsque l’on a discuté de l’impatience en classe et qu’on a donné des exemples et des pistes de stratégies… ». J’aurai souvent un tableau d’ancrage (affiche créée avec les élèves) auquel ils pourront toujours se référer au besoin. Il faut pour ce faire être capable de flexibilité dans sa planification puisque ces « moments » d’enseignement n’auront pas été planifiés en début de journée. En utilisant cette approche universelle, je limite les stigmatisations et je normalise les comportements. Ceci a un impact direct sur mon climat de classe, qui se veut plus inclusif, respectueux et où l’enfant se sent compris.

Apprendre à nommer ses émotions, pour ensuite s’outiller pour mieux les gérer est une compétence qui devrait être davantage développée chez l’enfant. Pour ce faire, je crois que nous, les enseignants, devrions être davantage formés et outillés pour répondre à ce besoin grandissant. Je suis consciente que cette sphère de développement relève davantage du milieu familial, mais nous sommes également des adultes signifiants pour les enfants, qui passent une grande partie de leur temps avec nous. Lorsque nous comprenons les émotions que vivent les enfants, nous leur enseignons l’empathie et la tolérance. La relation entre l’élève et l’enseignant est plus significative et les interventions sont, selon mes expériences, plus efficaces par la suite. L’empathie est essentielle et préalable pour que le climat d’écoute et d’échange s’installe entre l’enseignant et l’élève, et le reste du groupe. Lorsqu’un enfant se sent écouté, sans jugement, il accueille plus facilement nos conseils. Il nous fait confiance.

Gérer une classe va donc au-delà d’enseigner des contenus, de récompenser et de punir. Gérer une classe demande continuellement des réajustements, des réflexions et parfois du « lâcher prise ». Des réajustements, puisque chaque humain est différent, avec des besoins particuliers, avec des façons d’apprendre et des intérêts variés. Des réflexions quant à notre rapport à l’exigence, quant aux buts et à la portée de nos interventions, quant à la réalité de chaque enfant. Je me pose souvent la question suivante avant de faire une intervention: est-ce que j’agis dans le but de répondre à mon besoin ou dans une visée éducationnelle et utile pour l’élève ? Est-ce que je connais réellement le vécu de mes élèves? Est-ce que j’ai pris le temps de me mettre à leur hauteur, pris le temps de regarder avec leurs yeux et d’écouter avec leurs oreilles? Quand la réponse est non, je me dis alors que je n’ai pas toutes les informations pour porter un jugement sur leur disponibilité attentionnelle et émotive.

Léa Tremblay