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Rencontre avec des jeunes ayant reçu un diagnostic de TDAH

Le 27 janvier 2020, le GDAH a rencontré quatre jeunes hommes d’une vingtaine d’années qui avaient reçu un diagnostic de TDAH dans leur enfance ainsi qu’une médication. Nous leur avons demandé de nous parler de leur expérience du TDAH. Dans ce texte, nous reprenons ce qu’ils nous ont dit et qui est absent des discours médiatiques et scientifiques courants sur le TDAH, en particulier les effets que la prise de médication a eu sur leur vie.

Brefs éléments biographiques

Trois jeunes sur quatre ont reçu un diagnostic et une prescription médicamenteuse suite à une visite chez leur médecin généraliste. Un seul a passé des tests et a rencontré un psychiatre. Trois d’entre eux rapportent que c’est un problème avec l’autorité qui a donné lieu au processus diagnostic, l’un d’eux parle aussi d’une hyperactivité repérée par un professeur et le dernier pointe des difficultés scolaires dans toutes les matières, sauf en histoire (domaine dans lequel il poursuit actuellement des études universitaires).

 

DES MÉDICAMENTS AUX MULTIPLES EFFETS SECONDAIRES

Les jeunes confirment que la médication permet de demeurer concentré en classe, de passer des journées à étudier et évite que le rapport à l’autorité ne dégénère. Toutefois, ce dont ils nous ont parlé, c’est surtout de tous les autres effets des médicaments, qui sont peu ou pas mis de l’avant dans les discours courants.

La bulle et le retrait social

Les jeunes nous expliquent que la médication crée comme une bulle dans laquelle on se retrouve à distance des autres. Ils prennent la parole les uns après les autres pour détailler ce phénomène :

  • « Tu es comme dans une petite bulle, avec toi-même, tu as moins de souci des autres, tu es plus au neutre.
  • Tu réfléchis à ce que tu vas faire, à ce que tu vas dire mais tu le diras juste pas.
  • Tu deviens plus distant des autres.
  • Tu perds ta spontanéité, tu es toujours en train de réfléchir à ce que tu vas dire. Souvent, tu ne le dis pas car tu penses que ce n’est pas nécessaire de dire ce que tu as à dire.
  • Tu prévois d’avance toutes les possibilités de ce qui vas arriver.
  • Tu es moins spontané. Tu vas prendre moins de place.
  • Dans les interactions sociales, quand tu arrêtes la médication, c’est comme un voile qui s’enlève. »

Leurs propos font écho à la question que nous posions en 2015 dans le titre même de notre conférence : « TDAH : bâillon ou solution ? ». Force est de constater que pour ces jeunes, la médication a eu un certain effet bâillon : ils se retiennent de parler, ils prennent moins de place, ils demeurent en retrait. Est-ce le prix à payer pour apaiser des rapports parfois difficiles avec l’autorité ?

Un effet dépresseur et une augmentation de l’anxiété

La médication a des effets sur l’humeur selon les quatre jeunes : « Tu es moins enjoué, moins content ».

Trois d’entre eux nous disent qu’elle augmente aussi l’anxiété.

  • « Tu vois les choses venir [examens, travaux scolaires] et tu penses que tu n’auras jamais le temps. »
  • « Quand tu ne fais pas quelque chose d’utile, tu te sens mal »

Selon eux, ils ne vivaient pas les choses comme cela avant de prendre une médication.

Le « down » et le goût de consommer alcool et drogue

Lorsqu’en fin de journée la médication ne fait plus effet, les jeunes rapportent vivre un phénomène de « down » : un manque d’énergie et un malaise qui les empêchent à la fois de se concentrer sur leurs études et de relaxer vraiment. Selon certains, le fait de prendre une médication augmentait le désir de prendre de l’alcool et du cannabis la fin de semaine, pour décompresser en quelque sorte :

  • « Quand la médication cesse de faire effet le soir, tu n’as le goût de rien faire, tu es plus anxieux. Mais t’as pas le goût de te coucher non plus.
  • T’as le goût de consommer : de la bière, du pot
  • Quand je prenais de la médication, je consommais plus d’alcool et de pot. J’avais hâte au vendredi pour faire le party. »

Le sommeil et l’appétit

La médication entraînait pour plusieurs des difficultés de sommeil et une perte d’appétit. L’un d’eux dit n’avoir jamais mangé son lunch de toutes ses études secondaires. Avec la médication, il n’avait pas faim.

 Un impact sur la personnalité en construction

L’un des quatre rapporte qu’il était une personne différente lorsqu’il prenait de la médication et que cela entraînait pour lui un important questionnement identitaire. Il était par ailleurs troublé de constater que son entourage semblait considérer la facette médicamentée de sa personnalité comme étant la bonne. Encore aujourd’hui, il se demande laquelle de ces deux personnes il est. Il s’interroge sur l’impact de la médication sur son développement et pense que l’introduction d’une médication peut changer une vie.

 Une dépendance psychologique

Un dernier effet de la médication se dégage de notre discussion. Plus pernicieux, moins directement visible, la prise de médication donne lieu à une forme de dépendance psychologique. Trois des jeunes prennent encore une médication en période d’étude intense, comme lors des examens. En ont-ils réellement encore « besoin » pour réussir? A les écouter, cela ne semble pas clair. L’un d’eux nous explique comment, avec l’âge, il a appris à s’organiser et laisse entendre qu’une meilleure organisation pourrait pallier la médication. Un autre pointe qu’il ne ressent même plus la prise de médication. Ils s’accordent finalement pour dire qu’une dépendance s’est installée au fil du temps, qui les amène à recourir à la médication lorsque vient le temps d’étudier intensément. Le seul des quatre à l’avoir totalement cessée dit pour sa part : « je me disais que quand j’allais arrêter d’en prendre, j’allais échouer. Mais finalement, je suis plus heureux ». Réussite académique et médication semblent constituer au fil du temps un nœud associatif difficile à défaire pour ces jeunes.

 

DES ENFANTS QUI N’ONT PAS LEUR MOT À DIRE

Lorsque nous leur avons demandé s’ils ont eu accès à un espace de parole durant leur enfance et leur adolescence, si quelqu’un leur aurait offert de parler de ce qu’ils vivaient, tous répondent par la négative. « Jamais personne n’a demandé mon opinion là-dessus. J’ai jamais eu de lieu où expliquer mon point de vue et le comprendre », dit l’un d’eux. Un autre précise cependant : « c’est pas sûr que j’aurais parlé à cet âge-là », pour ensuite réfléchir aux conditions que cela prendrait pour qu’un enfant ose une parole. Quant au moment où ils ont reçu le diagnostic, ils décrivent tous ne pas avoir eu conscience à l’époque de ce qui se jouait là. C’est seulement pour l’un au secondaire, pour un autre au Cégep, qu’ils ont commencé à se poser des questions, à « googler » le nom de leur médicament, à interroger un médecin ou à prendre le temps d’en parler avec les services adaptés. De plus, aucun d’eux n’a eu de réévaluation diagnostique au fil des ans : le diagnostic initial n’a jamais été validé à nouveau.

De plus, les éléments environnementaux présents à l’époque du diagnostic n’ont pas été considérés. Tous en viennent d’ailleurs à dire qu’en-dehors de l’école, ils n’avaient pas de problème. Au hockey, dans les loisirs, ça allait bien. De même avec certains professeurs, ils n’avaient pas les problèmes relatifs à l’autorité qu’ils pouvaient avoir avec d’autres. Une phrase dite par l’un d’eux résume bien cette partie de la discussion: « Pas d’école, pas de TDAH ».

 

CONCLUSION

Les jeunes que nous avons rencontrés n’ont pas une position anti-médication ou anti-diagnostic. Certains d’entre eux considèrent que la médication leur a permis de rester sur les bancs d’école et a amélioré leur concentration en classe. D’ailleurs, tous étudient à présent à l’Université.

Devant les parcours scolaires réussis de ces jeunes, il pourrait être tentant de considérer que le TDAH est une catégorie diagnostic valide et que la médication est la solution. Mais la solution à quoi au juste ? Depuis le début, le GDAH considère que la réponse actuelle de la société au phénomène d’agitation ou d’inattention des enfants est problématique : d’emblée, les systèmes scolaires et de santé considèrent que les enfants ont un problème et cela donne lieu à des interventions médicamenteuses visant à modifier leur biologie cérébrale. Or, le témoignage de ces jeunes montre qu’une prise de médicaments va de pair avec d’importants effets secondaires tant physiques que psychologiques. A fortiori, la médication est imposée aux enfants à un âge où ils ne sont pas en mesure de la refuser. En voulant résoudre un « problème », on risque donc d’en causer de nouveaux.

Les dernières statistiques montrent que 23% des jeunes du secondaire (au Québec) disent avoir reçu un diagnostic de TDAH[1]. Avec de telles proportions, est-il raisonnable de continuer à interpréter la situation actuelle à travers la grille diagnostique du TDAH, c’est à dire comme des problèmes qui sont strictement individuels et qui découleraient d’un défaut dans la biologie cérébrale ? Ou bien gagnerions-nous à élargir notre perspective et considérer ce phénomène dans sa globalité ? Ceci impliquerait de cesser de considérer les comportements d’agitation ou d’inattention des enfants comme la conséquence de cerveaux défectueux pour plutôt interroger les multiples facteurs en jeu: changements dans la culture, organisation des systèmes scolaires et de santé, rapport des enfants avec leurs enseignants, leurs parents, leurs amis, événements vécus, etc… Évidemment, cela impliquerait une réorganisation des ressources disponibles car actuellement, comme le disait un des jeunes, « tout est fait pour que tu te rendes à la pilule ». Dans un texte antérieur, nous avions déjà pointé comment l’organisation actuelle des systèmes scolaires et de santé conduisent à un phénomène de sur-diagnostic et de sur-médication[2]. Le témoignage de ces jeunes sur les effets secondaires de la médication devrait nous inciter à remettre en question notre attitude en tant que société face au vécu des nouvelles générations.

Pour conclure, redonnons la parole aux jeunes à qui, en fin de rencontre, nous avons posé la question suivante : « Selon vous, qu’est-ce que le TDAH ?». Voici leurs réponses :

  • « Le TDAH, c’est ne pas avoir autant de facilités pour faire la même chose que la majorité des gens.
  • C’est une condition qui t’empêche de fonctionner comme la normale. C’est pas une maladie, c’est un trouble.
  • C’est un problème sociétal : tu donnes des pilules à des enfants et ils vont être productifs.
  • Le TDAH, c’est normaliser la différence. »

 

 

[1] Institut de la statistique du Québec. 2018. Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2016-2017.  Tome 2 L’adaptation sociale et la santé mentale des jeunes

[2] « Système scolaire et système de santé : main dans la main vers le sur-diagnostic et la sur-médication », section Agora du site internet du GDAH

Lettre envoyée à la Commission parlementaire sur le TDAH (tenue du 6 au 13 novembre 2019)

Aux membres de la commission sur l’augmentation préoccupante de la consommation de psychostimulants chez les enfants et les jeunes en lien avec le TDAH,[1]

Je suis psychologue de formation, membre de l’Ordre des psychologues du Québec. J’ai une pratique privée de psychologue auprès d’adolescents et de jeunes adultes. Par ailleurs, je travaille comme intervenant clinique au Centre de traitement psychanalytique pour jeunes adultes psychotiques, le 388 (CIUSSS de la Capitale Nationale). Enfin, j’ai aussi travaillé durant trois ans auprès d’enfants de moins de quatre ans et de leurs parents dans l’organisme communautaire « La Maison Ouverte ».

En 2014, interpellés par la déferlante de diagnostics de TDAH au Québec, avec trois collègues (une psychologue, une microbiologiste et un philosophe) nous avons créé un groupe de réflexion et d’action autour de l’enjeu du TDAH et de la médicalisation de l’enfance (voir notre site internet : www.groupegdah.com). Depuis, nous avons fait une revue de la littérature scientifique, donné une conférence à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, une autre à la Maison de la famille de Québec, mis sur pied des rencontres avec des enseignants, psychologue scolaire, résidant en pédopsychiatrie et enfin nous avons rencontré des parents.

UN DIAGNOSTIC QUI RENVOIE À UNE DÉFINITION BIOLOGIQUE QUESTIONNABLE

Je souhaite apporter à la commission des éléments de réflexion en remontant à la source même du diagnostic de TDAH. Le discours qui prévaut actuellement tant au niveau des médias que des professionnels de la santé est que le TDAH serait une condition biologique présente dès la naissance d’un être humain : un trouble neurodéveloppemental d’origine génétique. La prétention de ce discours est d’avoir scientifiquement identifié une cause biologique au TDAH. Or, en toute rigueur, les études scientifiques ne permettent pas d’arriver à une telle conclusion. Il est important de le souligner car cela est curieusement absent du discours tenu en général sur le diagnostic de TDAH. Cette définition biologique qui accompagne le diagnostic correspond à une interprétation de données scientifiques qui en elles-mêmes ne permettent pas d’identifier la cause du TDAH. En effet, le discours le plus répandu réfère aux études génétiques et aux études d’imagerie cérébrale pour justifier la définition biologique du TDAH. Or, aucune étude génétique ne démontre l’origine biologique du TDAH (des liens d’association ont été trouvés ; mais aucun lien de cause à effet). De même, l’observation de spécificités cérébrales n’est pas une preuve de l’origine biologique du TDAH. En effet, on peut observer des spécificités cérébrales chez de nombreux groupes de population (exemple : les musiciens) pour la bonne raison que le cerveau est plastique et évolue en fonction des conditions de vie des personnes. Une lecture à la lettre des études scientifique permet de conclure uniquement que la cause du TDAH demeure inconnue.

UN DIAGNOSTIC QUI DÉTERMINE LA RÉACTION DE L’ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ

Ceci m’amène à attirer votre attention sur le fait que le champ de la santé mentale en Amérique du Nord est actuellement dominé par une conception biologique de la souffrance psychique. Ce n’est pas le cas de plusieurs pays d’Europe et notamment de la Belgique où j’ai fait mes études. En Belgique ou encore en France, le champ de la santé mentale est le lieu de débats intenses entre différentes conceptions de l’être humain : notamment une conception biologique qui est de l’ordre de celle qui domine actuellement le champ du discours psychiatrique au Québec, mais aussi des conceptions autres, qui placent l’expérience subjective comme primordiale dans la compréhension de ce qu’est un être humain : le fait que chaque humain a une sensibilité propre dès la naissance, une capacité à imaginer et à créer, et un vécu singulier lié à une histoire unique.

Ce vécu subjectif, propre à chacun, ne peut être observé de l’extérieur par une évaluation comportementale et ne peut ressortir lors d’une imagerie cérébrale ou d’un test génétique. La seule façon d’avoir accès au vécu subjectif d’un autre humain est que celui-ci nous parle ou l’exprime par une création.

La société québécoise est actuellement traversée majoritairement par ce discours qui, par le biais du diagnostic, tend à ramener tout comportement hors-norme à une pathologie du cerveau. Cela nous amène logiquement sur la pente d’une multiplication des diagnostics puisque dans cette logique, tout comportement qui s’écarte de la normale tend à entrer dans le champ du pathologique. Ce discours, qui se présente comme le seul discours scientifique objectif, est sous-tendu par une certaine conception de l’être humain : il y a là un choix idéologique qui détermine une certaine interprétation des données scientifiques.

Cette interprétation détermine les orientations majeures prises par la psychiatrie et la psychologie aujourd’hui au Québec ; et ces deux disciplines ont une énorme influence sur la société dans son ensemble : parents, enseignants, directions d’école, médias, politiques gouvernementales,… Encore une fois, ce choix idéologique n’est pas celui de toutes les sociétés comme le montre l’exemple de la Belgique ou de la France.

Considérer les comportements d’agitation et d’inattention des enfants comme le résultat d’un cerveau défaillant, c’est non seulement courir le risque de pathologiser tout comportement hors-norme, mais c’est aussi se priver de la possibilité d’offrir un espace d’expression au vécu subjectif des enfants : expression par la parole, par l’art, par le jeu. C’est de plus se priver de réfléchir à ce qui, dans l’environnement de l’enfant, peut le toucher (le vécu d’un parent, d’un professeur, d’un ami) et l’amener, faute d’autres moyens d’expression, à développer différents symptômes : agitation, inattention, anxiété, opposition, etc…

Actuellement, tout ce que les enfants agités ou inattentifs disent ou font tend à être interprété au regard d’une vision biologique de l’humain. L’expert en charge du diagnostic n’a pas pour mandat premier de s’intéresser au vécu subjectif de l’enfant qu’il reçoit : on lui demande avant tout de déterminer si ses comportements relèvent d’une pathologie psychiatrique (ce qui, selon la logique en vigueur actuellement, équivaut le plus souvent à une pathologie du cerveau).

Les experts nous disent qu’il s’agit de poser le « bon diagnostic ». Or, la majorité des diagnostics (trouble anxieux, trouble de l’humeur, trouble du spectre autistique,…) renvoient à des définitions où le biologique est présenté comme une cause du trouble. Comme dans le cas du TDAH, ces définitions ne correspondent pas aux résultats des études scientifiques puisque celles-ci, encore une fois, n’ont pas permis d’identifier de cause biologique précise pour ces troubles. Penser juguler la multiplication des diagnostics de TDAH en alimentant d’autres catégories diagnostiques ne résoudra pas le problème de fond : on continuera de ramener les comportements hors-normes dans le champ du médical et une proportion importante des enfants sera médicamentée.

AU-DELÀ DU DIAGNOSTIC : UN AUTRE ACCUEIL DES ENFANTS

Je suis un clinicien. Je passe mes journées à écouter des patients. Écouter un autre être humain ne va pas de soi. Tout ce que l’on porte en soi de normes, de préjugés, de valeurs est un obstacle potentiel à l’accueil de ce qui dans l’autre est profondément singulier et donc forcément hors normes.

Je m’interroge sur la possibilité de créer des conditions propices à l’accueil des enfants dans ce qu’ils vivent de singulier tout en demeurant dans une interprétation biologique de l’être humain. En effet, comment écouter et accueillir ce qu’il y a d’unique dans l’autre si toute parole ou tout comportement hors-norme risque d’être interprété comme le résultat d’un cerveau défaillant ? Concrètement, il n’est pas nécessaire d’écouter quelqu’un dont le cerveau dysfonctionne, il suffit de lui donner une médication pour pallier son déficit cérébral. C’est ce qu’ont vécu beaucoup des patients psychotiques avec qui je travaille lorsqu’ils ont eu affaire au modèle psychiatrique nord américain. En effet, plusieurs m’ont expliqué qu’à l’hôpital, plus ils parlaient, plus le personnel augmentait leur médication. Dès lors, comment s’étonner qu’ils préfèrent se taire ?

Je crains qu’en tant que société, nous ne prenions la même direction envers nos enfants : les faire taire à coup de médication ou de rééducation comportementale plutôt que les écouter. Que voudrait dire « les écouter » ? Un premier pas consisterait à cesser de les considérer comme des cerveaux plus ou moins bien régulés et à prendre au sérieux leur vécu. Au lieu de penser tout de suite que les enfants ont un problème (cérébral ou autre), il s’agirait de nous remettre en question en tant que société : se peut-il que nous fassions erreur dans notre propre positionnement à leur égard ? Pourrions-nous inventer de nouvelles modalités d’accueil des enfants ? Pour cela, il serait nécessaire de donner une marge de manœuvre aux professionnels de la santé et de l’éducation. Aujourd’hui on demande aux professionnels de faire des diagnostics (identifier le bon trouble cérébral/comportemental) et d’appliquer des plans d’intervention (gérer au mieux les effets comportementaux d’un cerveau défectueux). On ne leur demande jamais d’écouter les enfants et les parents et d’explorer le vécu subjectif de ceux-ci.

Sans nier le substrat biologique de l’être humain, considérer la complexité des expériences de vie et la sensibilité propre de chaque humain devrait nous inciter à conserver un espace d’ouverture et d’interrogation sur ce qui peut être sous-jacent aux comportements d’agitation et d’inattention de nos enfants. Notre société investit aujourd’hui beaucoup d’argent et de temps pour faire des évaluations diagnostiques qui débouchent le plus souvent sur une médication pour l’enfant et qui dictent ensuite aux adultes (parents, enseignants, …) comment se comporter envers lui. Ce faisant, ce qui cherchait peut-être à s’exprimer chez l’enfant à travers des comportements d’agitation ou d’inattention est réduit au silence. Et l’adulte, devenu gardien du bon comportement de l’enfant, est lui-même privé de la possibilité de se remettre en question dans son rapport à l’enfant.

Le Québec semble actuellement coincé dans une compréhension médicale bio-centrée du vécu des enfants. La tenue de cette commission témoigne que cela nous mène vers une impasse (pense-t-on réellement que près d’un quart des jeunes ont un cerveau défaillant comme le voudraient les plus récentes statistiques sur la question ?). Certes, il y a là du sur-diagnostic. Mais il y a aussi une pente glissante plus profonde qui provient de la conception même de l’être humain qui sous-tend l’organisation des soins psychiatriques et psychologiques au Québec. Par ce commentaire, j’espère avoir pu attirer votre attention sur la profondeur de réflexion que requiert la situation des enfants. Une telle réflexion devra se mener sur le long terme ; souhaitons que le travail que vous faites aujourd’hui en commission en soit la première étape.

Merci d’avoir pris le temps de lire ce commentaire,

Jean-Michel Cautaerts

 

[1] La Commission de la santé et des services sociaux tient actuellement une commission parlementaire sur le thème: « Augmentation préoccupante de la consommation de psychostimulants chez les enfants et les jeunes en lien avec le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) »
Lien vers la commission: http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/csss/mandats/Mandat-40809/index.html
Vous pouvez y prendre connaissance des participants, de leur mémoires et aussi visionner les vidéos de leur passage en commission. Nous soulignons particulièrement le passage en commission de Marie-Christine Brault (professeur agrégée du département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi) qui dénonce la médicalisation de l’enfance, de Jean-Claude St-Onge (philosophe, auteur du livre « TDAH. Pour en finir avec le dopage des enfants ») et du mouvement « Jeunes et santé mentale » qui dénonce la médicalisation des problèmes sociaux des jeunes.
Le GDAH travaille depuis 2014 sur ces enjeux. Nous avons décidé d’envoyer un texte aux députés qui siègent sur la commission par le biais d’une procédure prévue par l’Assemblée nationale (qui permet aux citoyens prendre la parole sous la forme de « commentaire »).

 

L’angle mort du système de santé: l’aide aux parents

Le 14 novembre 2018, le GDAH a réalisé une rencontre destinée aux parents afin de réfléchir avec eux au TDAH et autres « troubles » de l’enfance. L’objectif était double : recueillir l’expérience des parents et penser avec eux des pistes pour de nouvelles modalités d’accueil des enfants. Trois parents ont répondu à cette invitation.

Des parents sous pression sociale 

Les trois participantes présentes ont fait état de la pression sociale qui pèse sur les parents dont l’enfant s’agite ou n’est pas attentif. Face aux remarques transmises notamment par le système scolaire (« votre enfant bouge » ; « votre enfant n’est pas attentif en classe »), le parent ressent une pression à agir. Très vite des questions et des impératifs se formulent dans sa tête. Une mère explique avoir pensé « Il faut faire quelque chose sinon on est pas un bon parent » ou s’être posé la question « Vais-je être un mauvais parent ? ». Dans une telle situation où le système scolaire pointe un problème, le réflexe est celui que décrit une participante : « le parent qui veut le bien de l’enfant va faire passer une évaluation psychologique à son enfant ».

L’autoroute diagnostique promue par le système

Les parents confirment que ce qui tend à se mettre alors en place est une dynamique d’évaluation diagnostique (trouver le professionnel qui posera un diagnostic sur les comportements de l’enfant qui dérangent) et de traitement (médication ou psychothérapie) toutes deux centrées sur l’enfant. Même quand les comportements de l’enfant se présentent dans un contexte spécifique (changement d’année scolaire, changement de professeur) c’est l’enfant qui est avant tout ciblé comme ayant un problème tandis que le contexte est peu questionné.

Des résultats de traitements mitigés

Une participante cible que la médication a aidé sans être magique, et que différents aménagements pour rendre la classe de son fils plus malléable (possibilité de bouger, d’avoir des coquilles pour le bruit, etc) ont été bénéfiques. Pour une autre participante, la médication a entraîné chez ses enfants des effets secondaires problématiques (dépression, allergie). Elle a consulté de multiples spécialistes sans réel succès. Après plusieurs années à consulter divers spécialistes, elle conclut aujourd’hui que c’était « trop d’énergie pour trop peu de résultats ». Un sentiment d’impuissance et des frustrations face au système scolaire ont entraîné chez cette mère le développement une aversion envers ce dernier.

D’autres voies empruntées par les parents

Pour l’une des mères présentes, aider directement son fils à gérer ses émotions fut bénéfique : passer du temps avec lui, l’aider à mettre des mots sur ce qu’il ressent, lire avec lui. Une autre mère a constaté que ce qui aidait le plus son fils était de lui permettre de jouer dehors et de prendre des risques dans ses activités. Elle a d’ailleurs décidé de s’engager dans des initiatives communautaires visant à offrir aux enfants la possibilité de jouer à des jeux où le risque est présent (à l’encontre de la tendance actuelle qui vise à atteindre le risque zéro, allant jusqu’à interdire des jeux pourtant joué par des générations d’enfants par le passé tel que le roi de la montagne). Enfin, une autre mère nous a expliqué comment, suite aux commentaires des enseignants sur les comportements de son fils, elle a décidé de consulter pour la famille dans son ensemble. Il était important pour elle d’avoir un suivi psychologique qui permette de prendre en compte ce qu’elle nomme la « dimension affective » non seulement chez l’enfant mais aussi chez le parent. Ceci lui a permis d’accompagner son fils sans recourir au diagnostic et à la médication et a eu un effet bénéfique pour elle-même mais aussi pour son couple.

L’angle mort du système de santé : l’aide aux parents

La fin de notre rencontre a porté sur le témoignage rapporté ci-dessus où une mère est allée chercher un soutien psychologique pour elle et son conjoint et non uniquement pour leur enfant. Ce type de démarche est très rarement mise de l’avant dans le discours médiatique et scientifique ambiant. Selon deux des trois parents présents, il est mal vu qu’un parent aille chercher de l’aide psychologique pour lui-même, démarche souvent associée à la notion d’échec nous disent-elles. La question se pose alors : lorsqu’un comportement problématique est ciblé chez un enfant, est-il possible de réagir autrement qu’en centrant tous les services psychologiques sur l’enfant ?

A penser uniquement la situation comme un problème situé au niveau de l’enfant, on perd de vue que c’est dans le contact avec son entourage que celui-ci trouve avant tout des appuis pour aller de l’avant. Soumis à une forte pression sociale, pris dans des dépenses d’énergies importantes pour aider leur enfant, les parents ont-il l’espace suffisant pour trouver à se positionner eux-mêmes dans tout cela ?

Suggérer que les parents ont besoin d’un espace de parole est souvent interprété en termes de faute et de culpabilité: dire que des parents gagneraient à consulter reviendrait à dire que ces parents sont fautifs. C’est un préjugé social très problématique. Ce préjugé est conforté par le discours médical actuel qui ramène tout au biologique et qui du même coup évacue l’enjeu du rapport parent-enfant. En effet, poser les comportements d’un enfant comme ayant une cause biologique empêche les proches de s’attarder en profondeur sur leur propre positionnement vis-à-vis de leur enfant. Le psy peut alors dire au parent « vous n’y êtes pour rien, il s’agit d’une maladie ou d’un dysfonctionnement cérébral de votre enfant» et se félicite par le fait même d’éviter toute culpabilisation du parent. Mais du même coup, c’est le rapport parent-enfant lui-même (le fait que les parents sont en relation avec leurs enfants et s’influencent mutuellement) qui est évacué.

Nous gagnerions à sortir des cadres de pensée limités par les notions de faute et de culpabilité. Dire qu’un parent a une influence sur son enfant ne veut pas dire que tout ce qu’un enfant fait est causé par son parent. Chaque enfant a une personnalité unique et chaque enfant réagit à sa façon à son environnement social: famille, amis, école, culture, civilisation. Dans cet environnement, les parents occupent une place de choix mais ils ne sont pas la cause de tout ce qui se passe dans leur société, à l’école de leur enfant, dans leur culture etc… et qui peut avoir une influence sur leur enfant. Par contre, ils sont responsables de leur propre rapport à leur enfant et sont les premières personnes sur qui l’enfant peut s’appuyer. Que des parents décident de faire un travail sur eux en consultant un psychologue ne devrait pas être vu comme une preuve d’une quelconque faute qu’ils auraient commise (ou d’un quelconque échec) mais comme une voie responsable pour accompagner au mieux leur enfant.

L’éducation : l’affaire des « psy » ou des parents ?

Aider des parents à mettre en place des « trucs et techniques » pour aider leurs enfants à se concentrer ou à mieux gérer leur temps est chose fréquente. Offrir aux parents un espace de parole où ils pourraient parler de ce qui les angoisse ou les bouscule eux-mêmes en tant que parents est très peu promu dans le système de santé actuel. Les différentes offres de service présentées aux parents tendent à leur donner des conseils sur comment élever leur enfant. Les discours psy (psychologues, psychiatres, psychoéducateurs, …), influencent de plus en plus l’éducation des enfants tandis que le point de vue des parents perd en légitimité. Il suffit de penser au grand nombre de parents qui sont d’abord réticents à donner une médication à leur enfant avant de s’y résoudre sur les conseils médicaux qui leur sont prodigués. De quelle marge de manœuvre les parents disposent-ils pour mettre en place d’autres solutions que celles promues par le discours médical? Qui aujourd’hui dans le système de santé soutiendra un parent qui veut aider son enfant différemment ?

Le discours médical dicte de plus en plus aux parents comment éduquer leurs enfants, tronquant au passage leur rôle parental. Mère et père ne sont pas soutenus afin de déterminer comment se positionner eux, singulièrement, dans le lien à leur enfant. Ils sont plutôt incités à appliquer des techniques « scientifiquement validées ». Tout est centré sur l’enfant qui a un problème. Le parent est sorti de l’équation. On ne cherche pas à aider les parents à être des parents, on chercher à leur faire appliquer des techniques éducatives. Soutenir les parents dans leur rôle de parent impliquerait de prendre en considération des enjeux bien plus vastes que ceux relevant de la biologie cérébrale. Il s’agirait de les aider à se positionner en tant qu’hommes et femmes dans leur vie personnelle, en tant que père et mère face à leur enfant, en tant que conjoint et conjointe dans leur couple. Élever un enfant bourré d’énergie ou rêveur invétéré risque bien de venir interroger les adultes sur leurs propres positionnement en tant qu’homme, femme, père, mère, conjoint, conjointe, etc. Ces notions qui sont à la base des rapports sociaux humains sont absentes du champ du discours médical actuel. Un premier pas pour revenir à ces fondamentaux serait peut-être d’accorder davantage de confiance et de légitimité aux parents plutôt qu’aux discours médicaux.

 

Jean-Michel Cautaerts et Mathieu Saucier-Guay

Pour le GDAH

Système scolaire et système de santé : main dans la main vers le sur-diagnostic et la sur-médication

Le 18 avril 2018, nous avons rencontré trois professionnels œuvrant auprès d’enfants : une psychologue scolaire, un résident en psychiatrie et une enseignante du primaire. En mettant ensemble leurs témoignages, nous arrivons à la conclusion suivante : l’organisation actuelle du système scolaire et du système médical favorise le sur-diagnostic et la sur-prescription médicamenteuse et contribue à la médicalisation de l’enfance. Ces systèmes tendent à mettre complètement de côté l’exploration du vécu subjectif et relationnel des enfants, de leurs parents, des enseignants et des autres acteurs impliqués. Ce texte présente les éléments qui sont ressortis lors de cette rencontre et qui nous ont mené à cette conclusion.

 

Un système qui favorise le sur-diagnostic

Dans le processus de mise en place de ressources pour soutenir l’enfant, son école ou sa famille, le système scolaire favorise le recours aux diagnostics. En effet, si certaines ressources financières ou de personnel peuvent être accordées pour des élèves en difficultés suite à de simples observations en classe, d’autres ressources nécessitent des critères diagnostiques précis pour être débloquées. Une partie du budget des écoles pour aider les enfants en difficultés est donc directement tributaire des diagnostics posés. Il en résulte parfois un phénomène de demande de diagnostic de la part des écoles mais aussi des familles dans la mesure où c’est une voie importante pour obtenir des moyens financiers et donc des ressources pour aider les enfants.

A cette pression du système scolaire en faveur du diagnostic s’ajoute celle du système de santé : le ministère ne demande pas aux pédopsychiatres de faire de la thérapie auprès des enfants mais bien de faire un certain nombre d’entrevues diagnostiques par année, l’enfant étant ensuite souvent renvoyé au médecin de famille pour le suivi du traitement médicamenteux. Combiné à la pression au diagnostic émanant du système scolaire, cela donne lieu à des situations singulières. Dans un exemple qui nous a été rapporté, un pédopsychiatre qui demandait à voir un enfant une deuxième fois pour pousser plus avant son évaluation s’est retrouvé confronté aux parents et à la direction qui venaient faire pression sur lui pour obtenir le diagnostic « refusé » au premier rendez-vous. Dans une autre situation rapportée, les personnes ne se sont tout simplement pas présentées au second rendez-vous et sont allées voir un autre spécialiste chez qui le diagnostic ne serait pas « si difficile à obtenir ».

Dans le système scolaire, les psychologues et les psycho-éducateurs sont les personnes réputées avoir l’expertise pour soutenir le personnel enseignant dans la gestion des enfants ayant des besoins particuliers. Lorsque cela est jugé nécessaire, la direction peut aussi faire appel aux services éducatifs. Composés de psychologues, de psycho-éducateurs, de conseillers pédagogiques, etc., les services éducatifs ont un rôle d’expert et impriment des lignes de pensée et d’intervention au personnel scolaire en ce qui a trait à la gestion des élèves en difficulté. Les services éducatifs donnent ainsi des formations, interviennent dans différents programmes, participent à l’élaboration de plans d’interventions (un plan d’intervention comprend généralement un ensemble d’informations sur la façon dont les adultes devraient agir envers un enfant pour l’encadrer au mieux), etc. La manière de travailler des services éducatifs favorise l’établissement de diagnostics et la mise en œuvre de plans d’interventions.

Dans ce contexte, ce qui est avant tout demandé aux psychologues dans les écoles, c’est de faire des évaluations psychologiques et la pression est forte pour qu’il en ressorte un diagnostic. Le temps qu’ils doivent investir à ce niveau est tel qu’ils sont le plus souvent dans l’impossibilité d’offrir de la thérapie aux enfants en difficulté ou à leurs parents. Évaluer, diagnostiquer et rédiger des plans d’intervention devient le gros du travail du psychologue qui n’exerce pratiquement jamais la psychothérapie à l’école.

Dans ce milieu où l’aide aux enfants en difficulté doit le plus souvent passer par le diagnostic, les enseignants sont mis à contribution. Dès la maternelle, on leur demande de repérer les enfants potentiellement porteurs de l’un ou l’autre trouble psychologique. Concrètement, il leur est demandé de remplir des échelles de cotation afin d’identifier la présence et la sévérité de différents symptômes chez les enfants. Ils participent ainsi au processus d’évaluation diagnostique mené par les psychologues et sont ensuite tenus de suivre les plans d’intervention qui en découlent. L’enseignant se retrouve donc pris avec une tâche double sur ses épaules : d’abord, identifier les symptômes des enfants pour permettre leur diagnostic ; ensuite, contribuer à la bonne application du plan d’intervention. Cela n’est pas sans impact sur la relation aux pairs : un enseignant dont un élève turbulent n’a pas été diagnostiqué risque de se faire reprocher par son collègue de la classe supérieure de ne pas avoir fait son travail.

 

Un système qui favorise la sur-médication

Dans les unités de pédopsychiatrie, de moins en moins d’espace est dédié aux modalités de traitement autres que la médication. Par exemple, la thérapie familiale avait autrefois une place prépondérante dans l’arsenal thérapeutique. Celle-ci n’est aujourd’hui recommandée que dans la minorité des cas, souvent lorsque les interventions médicamenteuses ou psychosociales n’ont pas porté fruit. La pression à médicamenter est telle qu’il arrive que les directions d’école fassent pression directement sur le médecin ou encore sur la famille de l’enfant. Certains parents en ressortent avec l’impression que leur enfant pourrait ne pas être réadmis à l’école s’il n’est pas médicamenté.

D’après notre compréhension, la logique promue par le système scolaire et de santé pourrait être schématisée de la façon suivante. Face à un enfant agité, turbulent ou rêveur à l’excès, le système demande aux enseignants et aux psychologues scolaires de coter des échelles de symptômes afin de poser un diagnostic. En parallèle, des évaluations sont parfois demandées au privé ou en pédopsychiatrie où une médication pourra être prescrite. Un plan d’intervention est aussi rédigé qui vise à définir les meilleures manières d’agir auprès de l’enfant. Il est ensuite attendu des enseignants et des différents intervenants en milieu scolaire qu’ils mettent le plan d’intervention en œuvre au quotidien dans la classe.

Dans cette dynamique, il n’y a aucune réflexion approfondie sur les causes possibles des comportements de l’enfant. En fait, la question de la cause du comportement de l’enfant et des différentes explications possibles aux phénomènes observés n’est jamais sérieusement posée[1]. Cela va de pair avec le discours qui domine actuellement le champ de la santé mentale et des médias où tout comportement dérangeant ou non conforme est ramené à un dysfonctionnement cérébral. Les dynamiques qui consistent à diagnostiquer, médicamenter et encadrer l’enfant à l’aide d’interventions comportementales reposent pour la plupart sur le présupposé que c’est l’enfant qui a un problème ; et que ce problème se situe au niveau de son cerveau.

Dans un tel système, de quel espace les professionnels (enseignants, psychologues, psycho-éducateurs, pédopsychiatres) et les parents ainsi que les directions d’école disposent-ils pour penser ce qui arrive à l’enfant ? Est-il possible, dans ce contexte, de s’interroger sur ce que l’enfant vit dans sa relation à son enseignant, à ses parents, à ses amis ? Y a-t-il une exploration des dynamiques familiales ? Y a-t-il un questionnement sur une possible situation survenue dans l’entourage de l’enfant qui pourrait l’avoir ébranlé, dont il ne parle pas, mais qu’il agit? Y a-t-il une réflexion sur ce qui pourrait sous-tendre les émotions extériorisées par l’enfant : sa rêverie, sa colère, sa tristesse ? Prend-on le temps d’écouter l’enfant, ce qu’il a à dire ? Prend-on le temps de le voir avec ses parents ? D’explorer ce que les parents vivent entre eux et qui pourrait affecter l’enfant à leur insu ? S’interroge-t-on sur le rapport que ses parents ont à l’école, aux enseignants, à la direction et de l’impact que cela peut avoir sur l’enfant?

À entendre les témoignages recueillis lors de cette activité, il nous semble que les enseignants, psychologues, directions d’école, parents, pédopsychiatres et les autres intervenants impliqués au niveau scolaire et médical gagneraient à avoir davantage de marge de liberté afin d’inventer d’autres manières d’accueillir les enfants. Si le système ne fait pas d’emblée cette offre, peut-être serait-il temps de le transformer de l’intérieur.

Le GDAH

 

Note de bas de page:

[1] Depuis quelques années, il est demandé aux psychologues et psychoéducateurs de réaliser des « analyses fonctionnelles » qui ont pour vocation de se pencher sur la cause des comportements. Dans les faits, il semble que les tentatives d’explication soient extrêmement superficielles (par exemple, il est fait état du « besoin d’attention » de l’élève, de sa tendance à « éviter la tâche », etc) ou se contentent de cibler une séquence temporelle (tel comportement est apparu après telle situation) dans l’espoir de trouver une cause au comportement. D’après ce à quoi nous avons eu accès, il ne semble nullement question dans ces « analyses fonctionnelles » de mener une réflexion clinique en profondeur.