Le 27 janvier 2020, le GDAH a rencontré quatre jeunes hommes d’une vingtaine d’années qui avaient reçu un diagnostic de TDAH dans leur enfance ainsi qu’une médication. Nous leur avons demandé de nous parler de leur expérience du TDAH. Dans ce texte, nous reprenons ce qu’ils nous ont dit et qui est absent des discours médiatiques et scientifiques courants sur le TDAH, en particulier les effets que la prise de médication a eu sur leur vie.
Brefs éléments biographiques
Trois jeunes sur quatre ont reçu un diagnostic et une prescription médicamenteuse suite à une visite chez leur médecin généraliste. Un seul a passé des tests et a rencontré un psychiatre. Trois d’entre eux rapportent que c’est un problème avec l’autorité qui a donné lieu au processus diagnostic, l’un d’eux parle aussi d’une hyperactivité repérée par un professeur et le dernier pointe des difficultés scolaires dans toutes les matières, sauf en histoire (domaine dans lequel il poursuit actuellement des études universitaires).
DES MÉDICAMENTS AUX MULTIPLES EFFETS SECONDAIRES
Les jeunes confirment que la médication permet de demeurer concentré en classe, de passer des journées à étudier et évite que le rapport à l’autorité ne dégénère. Toutefois, ce dont ils nous ont parlé, c’est surtout de tous les autres effets des médicaments, qui sont peu ou pas mis de l’avant dans les discours courants.
La bulle et le retrait social
Les jeunes nous expliquent que la médication crée comme une bulle dans laquelle on se retrouve à distance des autres. Ils prennent la parole les uns après les autres pour détailler ce phénomène :
- « Tu es comme dans une petite bulle, avec toi-même, tu as moins de souci des autres, tu es plus au neutre.
- Tu réfléchis à ce que tu vas faire, à ce que tu vas dire mais tu le diras juste pas.
- Tu deviens plus distant des autres.
- Tu perds ta spontanéité, tu es toujours en train de réfléchir à ce que tu vas dire. Souvent, tu ne le dis pas car tu penses que ce n’est pas nécessaire de dire ce que tu as à dire.
- Tu prévois d’avance toutes les possibilités de ce qui vas arriver.
- Tu es moins spontané. Tu vas prendre moins de place.
- Dans les interactions sociales, quand tu arrêtes la médication, c’est comme un voile qui s’enlève. »
Leurs propos font écho à la question que nous posions en 2015 dans le titre même de notre conférence : « TDAH : bâillon ou solution ? ». Force est de constater que pour ces jeunes, la médication a eu un certain effet bâillon : ils se retiennent de parler, ils prennent moins de place, ils demeurent en retrait. Est-ce le prix à payer pour apaiser des rapports parfois difficiles avec l’autorité ?
Un effet dépresseur et une augmentation de l’anxiété
La médication a des effets sur l’humeur selon les quatre jeunes : « Tu es moins enjoué, moins content ».
Trois d’entre eux nous disent qu’elle augmente aussi l’anxiété.
- « Tu vois les choses venir [examens, travaux scolaires] et tu penses que tu n’auras jamais le temps. »
- « Quand tu ne fais pas quelque chose d’utile, tu te sens mal »
Selon eux, ils ne vivaient pas les choses comme cela avant de prendre une médication.
Le « down » et le goût de consommer alcool et drogue
Lorsqu’en fin de journée la médication ne fait plus effet, les jeunes rapportent vivre un phénomène de « down » : un manque d’énergie et un malaise qui les empêchent à la fois de se concentrer sur leurs études et de relaxer vraiment. Selon certains, le fait de prendre une médication augmentait le désir de prendre de l’alcool et du cannabis la fin de semaine, pour décompresser en quelque sorte :
- « Quand la médication cesse de faire effet le soir, tu n’as le goût de rien faire, tu es plus anxieux. Mais t’as pas le goût de te coucher non plus.
- T’as le goût de consommer : de la bière, du pot
- Quand je prenais de la médication, je consommais plus d’alcool et de pot. J’avais hâte au vendredi pour faire le party. »
Le sommeil et l’appétit
La médication entraînait pour plusieurs des difficultés de sommeil et une perte d’appétit. L’un d’eux dit n’avoir jamais mangé son lunch de toutes ses études secondaires. Avec la médication, il n’avait pas faim.
Un impact sur la personnalité en construction
L’un des quatre rapporte qu’il était une personne différente lorsqu’il prenait de la médication et que cela entraînait pour lui un important questionnement identitaire. Il était par ailleurs troublé de constater que son entourage semblait considérer la facette médicamentée de sa personnalité comme étant la bonne. Encore aujourd’hui, il se demande laquelle de ces deux personnes il est. Il s’interroge sur l’impact de la médication sur son développement et pense que l’introduction d’une médication peut changer une vie.
Une dépendance psychologique
Un dernier effet de la médication se dégage de notre discussion. Plus pernicieux, moins directement visible, la prise de médication donne lieu à une forme de dépendance psychologique. Trois des jeunes prennent encore une médication en période d’étude intense, comme lors des examens. En ont-ils réellement encore « besoin » pour réussir? A les écouter, cela ne semble pas clair. L’un d’eux nous explique comment, avec l’âge, il a appris à s’organiser et laisse entendre qu’une meilleure organisation pourrait pallier la médication. Un autre pointe qu’il ne ressent même plus la prise de médication. Ils s’accordent finalement pour dire qu’une dépendance s’est installée au fil du temps, qui les amène à recourir à la médication lorsque vient le temps d’étudier intensément. Le seul des quatre à l’avoir totalement cessée dit pour sa part : « je me disais que quand j’allais arrêter d’en prendre, j’allais échouer. Mais finalement, je suis plus heureux ». Réussite académique et médication semblent constituer au fil du temps un nœud associatif difficile à défaire pour ces jeunes.
DES ENFANTS QUI N’ONT PAS LEUR MOT À DIRE
Lorsque nous leur avons demandé s’ils ont eu accès à un espace de parole durant leur enfance et leur adolescence, si quelqu’un leur aurait offert de parler de ce qu’ils vivaient, tous répondent par la négative. « Jamais personne n’a demandé mon opinion là-dessus. J’ai jamais eu de lieu où expliquer mon point de vue et le comprendre », dit l’un d’eux. Un autre précise cependant : « c’est pas sûr que j’aurais parlé à cet âge-là », pour ensuite réfléchir aux conditions que cela prendrait pour qu’un enfant ose une parole. Quant au moment où ils ont reçu le diagnostic, ils décrivent tous ne pas avoir eu conscience à l’époque de ce qui se jouait là. C’est seulement pour l’un au secondaire, pour un autre au Cégep, qu’ils ont commencé à se poser des questions, à « googler » le nom de leur médicament, à interroger un médecin ou à prendre le temps d’en parler avec les services adaptés. De plus, aucun d’eux n’a eu de réévaluation diagnostique au fil des ans : le diagnostic initial n’a jamais été validé à nouveau.
De plus, les éléments environnementaux présents à l’époque du diagnostic n’ont pas été considérés. Tous en viennent d’ailleurs à dire qu’en-dehors de l’école, ils n’avaient pas de problème. Au hockey, dans les loisirs, ça allait bien. De même avec certains professeurs, ils n’avaient pas les problèmes relatifs à l’autorité qu’ils pouvaient avoir avec d’autres. Une phrase dite par l’un d’eux résume bien cette partie de la discussion: « Pas d’école, pas de TDAH ».
CONCLUSION
Les jeunes que nous avons rencontrés n’ont pas une position anti-médication ou anti-diagnostic. Certains d’entre eux considèrent que la médication leur a permis de rester sur les bancs d’école et a amélioré leur concentration en classe. D’ailleurs, tous étudient à présent à l’Université.
Devant les parcours scolaires réussis de ces jeunes, il pourrait être tentant de considérer que le TDAH est une catégorie diagnostic valide et que la médication est la solution. Mais la solution à quoi au juste ? Depuis le début, le GDAH considère que la réponse actuelle de la société au phénomène d’agitation ou d’inattention des enfants est problématique : d’emblée, les systèmes scolaires et de santé considèrent que les enfants ont un problème et cela donne lieu à des interventions médicamenteuses visant à modifier leur biologie cérébrale. Or, le témoignage de ces jeunes montre qu’une prise de médicaments va de pair avec d’importants effets secondaires tant physiques que psychologiques. A fortiori, la médication est imposée aux enfants à un âge où ils ne sont pas en mesure de la refuser. En voulant résoudre un « problème », on risque donc d’en causer de nouveaux.
Les dernières statistiques montrent que 23% des jeunes du secondaire (au Québec) disent avoir reçu un diagnostic de TDAH[1]. Avec de telles proportions, est-il raisonnable de continuer à interpréter la situation actuelle à travers la grille diagnostique du TDAH, c’est à dire comme des problèmes qui sont strictement individuels et qui découleraient d’un défaut dans la biologie cérébrale ? Ou bien gagnerions-nous à élargir notre perspective et considérer ce phénomène dans sa globalité ? Ceci impliquerait de cesser de considérer les comportements d’agitation ou d’inattention des enfants comme la conséquence de cerveaux défectueux pour plutôt interroger les multiples facteurs en jeu: changements dans la culture, organisation des systèmes scolaires et de santé, rapport des enfants avec leurs enseignants, leurs parents, leurs amis, événements vécus, etc… Évidemment, cela impliquerait une réorganisation des ressources disponibles car actuellement, comme le disait un des jeunes, « tout est fait pour que tu te rendes à la pilule ». Dans un texte antérieur, nous avions déjà pointé comment l’organisation actuelle des systèmes scolaires et de santé conduisent à un phénomène de sur-diagnostic et de sur-médication[2]. Le témoignage de ces jeunes sur les effets secondaires de la médication devrait nous inciter à remettre en question notre attitude en tant que société face au vécu des nouvelles générations.
Pour conclure, redonnons la parole aux jeunes à qui, en fin de rencontre, nous avons posé la question suivante : « Selon vous, qu’est-ce que le TDAH ?». Voici leurs réponses :
- « Le TDAH, c’est ne pas avoir autant de facilités pour faire la même chose que la majorité des gens.
- C’est une condition qui t’empêche de fonctionner comme la normale. C’est pas une maladie, c’est un trouble.
- C’est un problème sociétal : tu donnes des pilules à des enfants et ils vont être productifs.
- Le TDAH, c’est normaliser la différence. »
[1] Institut de la statistique du Québec. 2018. Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2016-2017. Tome 2 L’adaptation sociale et la santé mentale des jeunes
[2] « Système scolaire et système de santé : main dans la main vers le sur-diagnostic et la sur-médication », section Agora du site internet du GDAH